Comment la musique des plateformes est de moins en moins Show et de plus en plus Biz
Dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès, l’essayiste et romancier Paul Vacca s’est intéressé à un phénomène méconnu de la musique contemporaine : la multiplication des “hooks” musicaux (pour “crochet” ou “hameçon”), définis comme tout motif mélodique, rythmique ou chanté, généralement court, conçu pour capter instantanément l’attention de l’auditeur et s’imprimer dans sa mémoire.
Dans un contexte de saturation inédite (+ de 120 000 titres sont publiés chaque jour sur les plateformes de streaming), le hook permet d’attirer l’attention des auditeurs : il est l’équivalent musical du like, car "comme ce dernier, l’accroche est un pourvoyeur de dopamine et un vecteur d’engagement pour l’écoute (et la réécoute) d’une chanson".
Le hook, rappelle l'auteur, n'est pas fondamentalement nouveau : on en trouve déjà des traces à l’œuvre chez Beethoven dans la Symphonie n°5 ("ta-ta-ta-taaaaa"), par exemple. Simplement, avec l’émergence du streaming, le hook prend une autre dimension. Avant, l'élément central d'une chanson était la mélodie et le refrain ; l'accroche traditionnelle, un simple bonus. Aujourd'hui, le format couplet-refrain, répertorié sous la formule ABABCBB, laisse le champ libre à des structures plus éclatées, et le hook devient l'élément central d'un titre.
Paul Vacca y voit une mutation profonde de la fonction sociale de la musique :
"Là où le refrain portait une forme d’engagement collectif (le terme chorus signifie refrain et dérive du latin pour désigner le chœur), le hook, lui, vise à « crocheter » directement l’attention de l’auditeur immergé dans l’économie de l’attention”
Autre perspective intéressante : l’émergence du hook 2.0 a également conduit à une nouvelle approche dans le travail d’écriture des chansons proprement dit, avec un phénomène saillant - une inflation galopante du nombre des auteurs-compositeurs pour une même chanson. Dans les années 1970, il fallait compter en moyenne 1,7 personne pour figurer au Top 100 du Bilboard. Dans les années 2020, on est passé à 4,5. Dans le détail, il n’est pas rare de voir une vingtaine d’auteurs crédités pour une composition musicale. D'où ces "écuries d'écritures" aux armées pléthoriques : “Believe” de Cher a été écrit par sept personnes ; Beyoncé pour la chanson “Alien Superstar” a réuni 24 artistes et “Sicko Mode” de Travis Scott crédite jusqu’à 30 participants à la conception du titre !
Si l’abus de hook peut être dommageable à la chanson, Paul Vacca termine par un hommage à la créativité et à la poésie du hook : loin d'être "une accroche mécanique sans âme", il peut se révéler subtil, comique, émouvant, ironique et même méta.
En appui de sa démonstration, qui montre de façon convaincante comment le métier de la création musicale s’adapte à l’économie de l’attention, l’auteur a réalisé une playlist "L'empire du hook", à retrouver sur Spotify 🎶
Le Hook peut être considéré comme un travers, il reste un travail d'artiste. Le monde de la musique va avoir besoin de beaucoup de Hook car il voit arriver un sacré Iceberg sur sa route.
Un ouvrage fait beaucoup de bruit aux États-Unis : dans The Mood Machine, la journaliste américaine Liz Pelly retrace l’évolution du modèle économique de Spotify, leader mondial du streaming musical lancé en Suède en 2006. Si le livre n’est pas encore traduit, le journal Libération a réalisé une longue interview avec son autrice.
L’un des éléments les plus intéressants est la façon dont Liz Pelly raconte que l’évolution de Spotify a entraîné une mutation culturelle qui a changé la musique en profondeur. Voilà l’exemple, fascinant, d’une marque qui a réussi à “refonder les habitus mélomanes des utilisateurs et des créateurs”, en les contraignant à se conformer à ses exigences esthétiques.
"Par l’implantation des playlists de plus en plus hégémoniques, la transformation progressive de ses clients en consommateurs passifs et la mise au pas des créateurs, elle a assis un modèle qui lui permet depuis quelques années d’injecter sa propre musique d’ambiance et de maximiser ses profits”
L’enquête s’attarde longuement sur une activité marginale, à l’origine, celle des “artistes fantômes”, ces musiques de fond fabriquées à bas coût par des auteurs anonymes. Liz Pelly révèle qu’elle est le produit d’un programme interne, le “Perfect Fit Content”. Des musiciens de jazz ou d’ambiance ont vu leurs écoutes s’effondrer au fur et à mesure qu’ils étaient remplacés par ces artistes fantômes dans les playlists thématiques. Au final, conclue-t-elle, “l’auditeur de Spotify s’est peu à peu conformé à l’idéal que s’en faisait la firme : un auditeur passif et sensible à un usage utilitaire de la musique, pour son bien-être, la mise en son de son quotidien”. Autrement dit "peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse".
Une enquête à rapprocher de cette information : 2024 a été la première année où Spotify a généré un cash flow positif. Dans sa catégorie, cela fait de Spotify l’entreprise ayant mis le plus de temps à devenir rentable. Ceci explique-t-il cela ?
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